TENDUA - Association pour la sauvegarde de la biodiversité

Newsletter n°11 - Mars 2014

DOSSIERS

Pourquoi ces « nitrates » dans nos assiettes ?

Au mot « nitrates », on pense inévitablement aux engrais et au lisier qui polluent rivières et côtes, à leur présence quasi-systématique quoique dangereuse, dans nos aliments.

Elément essentiel de la « poudre noire »

La « poudre noire », découverte en Chine bien avant que le chimiste français Lavoisier ne détermine que azote et oxygène sont les constituants de l’air mais aussi qu’ils se combinent dans le « nitre » c’est-à-dire le salpêtre (un atome d’azote et de trois atomes d’oxygène : NO3-) au XVIIIe siècle, fut introduite en Europe par les Arabes vers 1230.

Salpêtre, « nitre » ou sel de pierre
Source : Randomania plus.

Avec le charbon de bois et le soufre, le salpêtre constitue l’un des trois principaux éléments du premier explosif utilisé par l’homme. On sait aujourd’hui que ce « sel de pierre » ou salpêtre que l’on recueillait sur les murs des lieux humides est du nitrate de potassium. Les « salpêtrières » devinrent des lieux hautement gardées et malheur au quidam qui voulait pénétrer ces caves humides où l’on récoltait le salpêtre nécessaire à la fabrication de la poudre à canon, assurant déjà au pouvoir la suprématie par l’efficacité de ses armes...
Au XIVe et au XVe siècle, en Occident, la composition de la poudre était de 6 parties de salpêtre pour une partie de soufre et une partie de charbon de bois. Par la suite, on mit au point des compositions variables selon l’usage auquel la poudre était destinée : mines, chasse, guerre et feux d’artifice.

Feu d’artifice de la fête nationale du 14 juillet
M. Dupuis

Au XVIIe siècle, en France, la production de poudre était assurée par la « Régie royale des poudres et salpêtres » exerçant un droit exclusif pour le compte du roi. Devant les besoins de plus en plus importants en poudre dus aux nombreuses guerres entreprises par Louis XIV, il fallut rénover les anciens lieux de production ou en construire de nouveaux Ainsi, l’industrie des explosifs fut bien historiquement la première utilisatrice des nitrates, qui sont encore à la base des explosifs les plus violents comme la nitroglycérine synthétisée en 1846 par l’italien Asciano Sobrero et stabilisée par Alfred Nobel sous la forme de dynamite ou encore la mélinite et le TNT (trinitrotoluène).

De la chimie à l’agriculture

Au cours de 1840, l’Allemand Justus von Liebig démontre, dans sa « Chimie organique appliquée à la physiologie et à l’agriculture », que seuls les éléments minéraux contenus dans le sol interviennent dans la nutrition des plantes. Parmi ceux-ci, les nitrates jouent un rôle essentiel. Il faut donc rendre à la terre les quantités que la végétation y a prélevées.
Cette hypothèse devient la raison d’être de l’industrie chimique naissante. On ne se préoccupe pas de savoir comment se débrouille la terre sans intervention humaine. Une fois de plus, on ne va pas au bout du raisonnement et on néglige les conséquences de notre intervention... Le chimiste devient dès lors le collaborateur indispensable de l’agriculteur, d’abord pour l’analyse de ses sols, ensuite pour la détermination de la formule de l’engrais nécessaire à la production envisagée.

Le bon sens des agronomes d’alors

Toutefois, cela coûte cher. Pourquoi investir lourdement dans la production d’azote alors que la nature l’offre gratuitement ? Elle a pourvu les sols de bactéries qui transforment les matières organiques en nitrates et les plantes légumineuses savent fixer l’azote de l’air. L’agriculture peut se suffire à elle même. Le travail de l’agriculteur consiste alors à alterner les productions, à apporter les amendements nécessaires, à équilibrer productions animales et végétales, à soigner la qualité du fumier, à perfectionner les charrues, à sélectionner les races les mieux adaptées, pour obtenir du milieu naturel le meilleur de ce qu’il peut fournir, au coût le plus faible. On revient aujourd’hui à cette tradition ancestrale de « laisser faire la nature », après le constat terrible des sols lessivés et malades de tous les pays industrialisés...et autres pays vers lesquels on a exporté nos poisons pour des raisons « économiques »....

Des explosifs aux engrais

A l’époque, tant que les nitrates resteront un produit industriel de luxe, ce discours de bon sens sera entendu. Les grands travaux de la fin du XIXe siècle, et surtout les conflits armés, viennent changer la donne. Il faut de plus en plus de nitrates pour les explosifs !
Mais où trouver la matière première ? Combiner l’azote et l’oxygène de l’air apparaît comme une solution évidente mais, même si les produits de base sont gratuits, les procédés sont très coûteux .

explosions
internet

Le conflit mondial de 1914-18 accélère le développement de cette industrie et permet la naissance et l’enrichissement de grands groupes chimiques encore célèbres aujourd’hui.

La guerre terminée, que faire de tous ces stocks de produits azotés de synthèse ? L’agriculture devient un débouché naturel. C’est l’époque où des affiches invitent les agriculteurs au patriotisme agricole : « Fertiliser ses terres, c’est servir son pays ». Pour autant l’agriculteur ne se laisse pas si facilement convaincre.
Le décollage de l’industrie des nitrates se fait après la deuxième guerre mondiale. Les « liberty ships » du plan Marshall déversent sur l’Europe les énormes surplus de nitrates libérés par l’industrie de guerre américaine. Il faut reconstruire les villes, il faut nourrir les populations tout en prélevant dans le milieu agricole l’essentiel de la main d’œuvre nécessaire.

En 1975, l’herbicide total Roundup est mis sur le marché et connaît un très grand succès.

Il faut surtout fourbir les armes d’une nouvelle guerre, une guerre « froide » qui se mène d’abord sur le terrain de l’économie. La course au rendement est lancée. C’est le début des « Trente glorieuses » et du règne productiviste.
Cf. http://www.combat-monsanto.org/spip...

Règne qui s’achève aujourd’hui, nous laissant, au nom du progrès, face à un gâchis environnemental dont nous ne savons si nous pourrons nous en remettre, les appétits productivistes n’étant ni assouvis ni ne tenant compte des erreurs passées...

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