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Téléphone portable, smartphone : à quel coût pour la planète ?

Un peu d’histoire

En avril 1973 - il y a 50 ans - un employé de Motorola réalise à New-York le premier appel téléphonique cellulaire. Si la technologie sans fil existe déjà, les « portables » de l’époque sont réservés aux voitures de luxe. Il faut 10 heures pour recharger la batterie permettant 30 minutes de conversation.
Dix ans plus tard, en 1983, on passe du prototype au modèle commercial. L’appareil reste encore onéreux : son prix équivaut à près de 10 000 USD d’aujourd’hui. Le téléphone est lourd, imposant, chaque appel coûte cher ... mais la révolution technologique est en marche.
En 1992, le premier téléphone GSM (Global System for Mobile), le Nokia 1011, est produit à grande échelle. Cette technologie est l’ancêtre de la 3G (et des suivantes) que nous utilisons désormais.
Le premier SMS – « Short Message System », message envoyé vers un téléphone portable depuis un ordinateur – arrive la même année.
Depuis plus de 20 ans, nos téléphones sont presque tous des smartphones et le téléphone fixe a pratiquement disparu. Le smartphone permet de téléphoner, de prendre des photos, d’accéder à des applications toujours plus nombreuses, à ses boites mail, etc. Les pays riches, les pays pauvres, des mégapoles aux plus petits hameaux, du puissant P.- D.G. au humble paysan indien, tout le monde a un smartphone, ou plusieurs.

Douze kilogrammes de roches pour 52 substances chimiques = UN smartphone

Un minerai est une roche extraite de la lithosphère et qui contient une quantité de minéral suffisamment grande pour en justifier l’exploitation. Lorsqu’on trouve des minerais en quantité suffisante, on construit des mines pour exploiter le filon à sa capacité maximale. Les minerais contiennent les éléments chimiques utilisés dans nos smartphones. Ils interviennent notamment pour la fabrication de la coque, de la batterie, des circuits électriques, des écrans. Saviez-vous qu’il faut 52 substances chimiques issues de divers minéraux, soit 12 kg de roches, pour produire UN seul smartphone ?...

Des éléments natifs qui coûtent cher

Certains minerais sont classés comme des « éléments natifs », c’est-à-dire « des minéraux, soit constitués par un corps simple formé essentiellement d’un seul élément chimique, soit un alliage caractérisé par quelques éléments chimiques associés suffisamment pur(s) » [1].
On connaît aujourd’hui au sens strict 34 éléments natifs dont le cuivre, l’or ou l’argent... Nombre de ces éléments chimiques, plus ou moins « rares » sont devenus essentiels au fonctionnement des nouvelles technologies. Et ils coûtent cher car leur disponibilité naturelle diminue.

Les terres dites « rares »

Les terres rares sont 17 éléments chimiques utilisés dans diverses industries, comme l’électronique et les énergies renouvelables. Elles possèdent de nombreuses propriétés communes – telle qu’une conductivité électrique élevée –, ce qui les rend difficiles à distinguer les unes des autres. Et contrairement à ce que leur nom indique, les terres rares ne sont pas si « rares », mais on ne les rencontre pas à l’état natif. De fait, leur rareté n’est pas dans leur quantité, mais dans leur concentration : il faut en moyenne 8 tonnes de roches à creuser pour obtenir 1 kg de matière première.

La sphalérite, le principal minéral du zinc, peut être utilisée comme minerai contenant des métaux rares, à teneur significative, tels que le cadmium, l’indium, le gallium et le germanium.
Myriam Dupuis

La sphalérite, principal minéral du zinc, peut servir de minerai contenant des métaux rares, en teneur non négligeable, tels que le cadmium, indium, gallium et germanium. Très commune, d’énormes quantités de sphalérite sont exploitées à travers le monde et ce minéral est devenu depuis plusieurs décennies le principal minerai de ces métaux rares. Des gisements remarquables se trouvent en France, au Pérou, en Russie, en Suisse.

Autre minéral caractérisé par sa richesse en terres rares, la bastnaésite. Mais les processus d’extraction sont polluants de par sa radioactivité.

L’yttrium, utilisé pour produire les luminophores [2] rouges pour les téléviseurs à écran cathodique, est 400 fois plus abondant dans la croûte terrestre que l’argent. Mais les terres rares sont très dispersées et ne se présentent pas sous la forme de minerais facilement exploitables. On peut les extraire dans des mines de cuivre, de zinc, ou d’uranium. Certaines sont présentes sur la Lune... Quoiqu’il en soit, le processus d’extraction est très cher et hautement polluant. C’est pour cela que pratiquement seule la Chine assume de s’y mettre, avec un monopole à presque 100 % sur le traitement des terres rares à partir des minerais d’autres métaux. L’Europe préfère laisser ces exploitations polluantes à d’autres.

Le Japon a déclaré des réserves importantes de plusieurs terres rares dans les profondeurs de ses eaux nationales. D’ailleurs, on sait que les abysses sont très riches en métaux. Le Canada a imaginé un aspirateur géant capable – peut-être ? – de résister à la pression des profondeurs. Tout le monde cherche, mais l’exploitation sous-marine reste encore trop onéreuse pour le moment. Doit-on préciser l’impact tragique qu’auraient de telles exploitations des dépôts métalliques du fond des mers sur les écosystèmes océaniques ?

Cas particulier du lithium

Le lithium et ses composés favorisent la production d’énergie et le rendement des batteries. Ils sont utilisés comme ingrédients essentiels pour la fabrication des verres à bas point de fusion et les lubrifiants. La fabrication de batteries rechargeables pour l’électronique, les véhicules électriques et le stockage d’énergie au sein de réseaux représentent la plus grande utilisation mondiale du lithium, soit 74 % de la demande totale. Le lithium-ion permet de combiner à la fois une charge rapide pour plus de commodité et une charge lente pour la longévité. Les besoins en lithium devraient être multipliés jusqu’à 42 dans les vingt prochaines années, selon l’Agence internationale de l’énergie.

L’Australie est le premier producteur de lithium au monde, représentant près de la moitié de la production mondiale en 2021. La Bolivie, le Chili et l’Argentine (le « triangle du lithium ») posséderaient conjointement les plus grandes ressources de lithium, lesquelles sont estimées à près de 50 millions de tonnes. En effet, on trouve de gigantesques salines en Amérique du Sud et c’est par la décantation du sel que l’on obtient le lithium nécessaire, une exploitation très demandeuse en eau.

Il existe également des réserves de lithium en France (réouverture des mines en Alsace et en Bretagne ?), mais les quantités sont plus faibles. D’ailleurs, l’ex-ministre de la transition écologique, Barbara Pompili, déclarait en exclusivité dans Les Échos le 17/02/2022 : « La France doit extraire du lithium sur son territoire ». Pourtant, le précieux métal est plus difficile à isoler que dans les saumures d’Amérique du Sud. Car, dans la nature, le lithium n’est jamais présent dans sa forme native mais toujours sous forme de sels, ou d’oxydes, dans des minéraux. De plus, le lithium métallique ne peut être stocké que dans l’huile et sous atmosphère protectrice car il est trop réactif pour être stocké dans l’eau ou l’air. Ce qui le rend dangereux à manipuler.
En Europe, le Donbass a également des réserves de lithium. L’ONU parle d’ajouter le lithium à la liste des éléments de conflit.
Quant au Canada, le gouvernement a désigné le lithium comme un minéral critique parce qu’il s’agit d’un matériau essentiel dans la transition vers l’énergie renouvelable et que le Canada a le potentiel d’en être un fournisseur. À l’heure actuelle, le Canada ne produit pas de lithium, mais il possède d’importants gisements de spodumène solide et des lacs salés desquels du lithium peut être extrait.

Géopolitique et haute technologie

C’est ici que la notion de mondialisation prend toute son ampleur. Tel un poème à la Prévert, énumérons les différents pays impliqués dans la production des éléments nécessaires à la fabrication de ces petites merveilles de technologie.
L’Afrique du Sud a le monopole du platine : gros avantage pour ce minerai car c’est celui qui se recycle le mieux. Il agit comme un anti-corrosif de la batterie de notre smartphone.
Le cadmium, reconnu comme cancérogène, est utilisé pour les batteries rechargeables, les écrans de télévision ou d’ordinateur, les tablettes, consoles, etc. Les principaux pays producteurs sont la Corée du Sud, le Japon, la Chine, le Canada, le Mexique.
Le gallium, produit principalement par la Chine, est utilisé pour les cristaux liquides d’écrans toujours plus performants.
L’indium est utilisé pour les LEDs et les écrans tactiles de toute taille (meilleure luminosité des smartphones, montres, tablettes, tableaux de bord de voiture, etc.), ainsi que sur certains vitrages et sur les panneaux solaires. Les pays producteurs sont la Chine (eh oui ! encore !), la Corée du Sud, le Japon. Il n’y a pas de mines d’indium. Il faut le rechercher, souvent dans des mines de zinc. Il est donc cher.
Le cobalt est très important dans toutes les batteries : téléphones et voitures. Il permet d’absorber la chaleur pour que « ça ne grille pas ». Actuellement, on estime qu’il n’y aura plus de cobalt disponible dans 50 ans.
Le quartz est utilisé pour rigidifier les écrans. C’est un minéral courant. Le quartz est à la base de tous les systèmes électroniques. Il est utilisé directement comme capteur pouvant mesurer une fréquence avec une très grande précision, le rendant incontournable dans des applications telles que les centrales inertielles ou les émetteurs et récepteurs radars ou de radiocommunications.
Enfin, l’or et l’argent ont de précieuses qualités : ce sont de très bons conducteurs permettant une transmission rapide des informations. L’argent vient principalement d’Amérique du Sud : Chili, Pérou, Bolivie. Quant à l’or, les principaux producteurs sont la Russie et la Chine.

Les éléments minéraux dits « de conflit »

L’ONU surveille comme le lait sur le feu ces quatre éléments minéraux dit « de conflit ». On les appelle aussi les « minerais du sang » : l’or, l’étain, le tungstène et le tantale.
Si l’or est un bon conducteur, le tungstène – l’un des métaux les plus durs au monde, utilisé dans la fabrication de missiles balistiques et de foreuses - que l’on trouve notamment dans la wolframite améliore la conductivité de l’or et de l’argent. On a peu d’information sur les mines exploitées en Chine de l’ouest (peut-être du côté du pays des Ouïgours…) qui assurent tout de même plus de 80% de la production mondiale.
Quant au tantale, extrait de la colombite et de la tantalite ou « coltan », c’est un supraconducteur, résistant à la chaleur comme à la corrosion. Il permet d’alléger et de miniaturiser nos smartphones, caméras, ordinateurs, écrans plats, etc. Il est également utilisé dans la fabrication de superalliages en aéronautique et sa biocompatibilité le rend intéressant dans la fabrication d’implants médicaux. Les principaux pays producteurs sont l’Australie, Brésil, Chine, Canada, République démocratique du Congo, Rwanda.
Pour les soudures des cartes-mères, on utilise de l’étain. Trois pays exploitent le principal minerai de l’étain : la cassitérite. On retrouve la Chine pour les 2/3 de la production mondiale. L’Indonésie et la Malaisie ont creusé des zones entières et ont sacrifié des îles pour cette production. Des littoraux ont été vidés de leurs poissons ; les populations affamées et appauvries ; un ouvrier par semaine meurt sur ces chantiers.

La production de ces « minéraux du sang » est souvent contrôlée par des groupes armés qui exploitent ces mines dans des conditions inhumaines et vendent les minerais aux plus offrants pour financer leurs mouvements. Dans les années 2000, la communauté internationale a découvert ces liens particulièrement forts en République démocratique du Congo, dans la région des grands lacs africains, au Zimbabwe, en République centrafricaine, en Birmanie ou encore en Colombie.
Vingt ans plus tard, y a-t-il eu des changements – pour le mieux ? Des dizaines de milliers de creuseurs, adultes, enfants, travaillent encore dans les mines de coltan, de cassitérite et d’or.

Le cobalt est très important dans toutes les batteries : il absorbe la chaleur de sorte que « il ne grille pas ».
Myriam Dupuis

C’est vrai pour le coltan car on le trouve à des niveaux peu profonds, ce qui a généré de véritables ruées. Le revers de la médaille : l’agriculture a été remplacée par l’extraction minière, ce qui a provoqué des famines. Ces famines ont à leur tour généré une surexploitation des forêts tropicales, avec notamment le braconnage d’espèces fragiles telles que l’okapi ou le gorille (« viande de brousse »).

À signaler que La Russie et le Donbass détiennent d’importantes réserves de nickel, de cobalt et de lithium nécessaires à la fabrication de smartphones, consoles, véhicules électriques, éoliennes et autres panneaux solaires. Le conflit actuel n’est sans doute pas aussi idéologique que les médias veulent nous le faire croire.
Mais en bout de chaîne, les entreprises qui fabriquent des téléphones portables sont protégées par les nombreux intermédiaires qui trempent dans ces trafics. Au consommateur donc d’être éclairé et de ne pas faire l’autruche !

Collecte et recyclage

Sur les 25 millions de téléphones mis sur le marché chaque année en France, seuls 15 % sont ensuite collectés pour être réparés, réemployés ou recyclés. Ce n’est clairement pas assez.
D’ailleurs, actuellement, il n’y a que le lithium et le platine qui sont recyclables.
Un des premiers obstacles au recyclage du lithium, c’est que les batteries lithium-ion (BLI) constituent une matière dangereuse, à manipuler avec précaution : la puissance électrique résiduelle qu’on y trouve peut provoquer des incendies ou des explosions.
Si nous ne pouvons pas nous passer de notre smartphone, avons-nous vraiment besoin d’en changer tous les ans ? D’en posséder plusieurs ? C’est l’occasion de réfléchir à notre rôle en tant que consommateur, et de devenir vraiment acteur de notre consommation.

Une entreprise dénote par son approche dans cet environnement technologique à haute rentabilité : il s’agit de FAIRPHONE. En effet, cette entreprise néerlandaise crée des smartphones dont la conception et la production des appareils ont été pensées pour intégrer des contraintes environnementales et de commerce équitable tout au long de la chaîne de production.
FAIRPHONE augmente le taux de matériaux recyclés dans ses appareils : cuivre et plastique recyclés pour le FAIRPHONE 3 ; plastique, indium, cuivre, aluminium pour le FAIRPHONE 4, qui présente également une traçabilité pour l’or et l’argent constitutifs de leur appareil. La modularité de leurs téléphones permet aussi d’améliorer leur recyclabilité en fin de vie puisque certains modules concentrent certains métaux, tel que l’or par exemple.
Pas forcément exemplaire, mais le sommes-nous en tant que consommateurs ? La démarche a le mérite d’exister et d’aller plus loin que la concurrence. Alors pourquoi pas un smartphone à base d’éléments recyclés ?

Conclusion

Avec plus de 10 milliards de téléphones portables dans le monde, le smartphone est un objet à la fois démocratique et technologique. Pourrions-nous nous en passer ?...Pas sûr. À moins d’y être obligé.
On a vu le coût « minéralogique » d’un seul appareil.
Sans compter les déchets miniers qui servent parfois de remblais, mais sont aussi des dépôts chargés en plomb, en arsenic, en cadmium ... En France, une exploitation à l’air libre est remblayée, mais on laisse en l’état une exploitation souterraine, sans plus d’attention aux nappes phréatiques ou aux terres agricoles avoisinantes.
Outre la pollution liée à la production, il y a aussi la pollution liée à l’utilisation : le cyber espace est saturé par nos données toutes plus importantes les unes que les autres, et ce, à une vitesse proche de celle de la lumière. Toutes ces données génèrent elles aussi beaucoup de pollution ...

Alors, retour en arrière toute ? Ça ne marchera pas. Il reste toutefois au moins deux axes à explorer. Le premier est indiscutablement une réflexion à mener par chacun sur sa propre façon de consommer et les conséquences induites. Une deuxième piste est de réfléchir au présent de demain : quels sont les métiers à inventer pour protéger la vie sur notre planète et préserver ce que nous qualifions de ressources. Formons des ingénieurs à défabriquer et à déconstruire, apprenons à réutiliser systématiquement jusqu’aux éléments encore non recyclés aujourd’hui ; interrogeons-nous sur les conséquences à chaque étape de notre consommation ; devenons plus conscients de notre environnement et de notre façon d’agir sur notre réalité.
Au final, c’est bien notre planète qui a inventé le recyclage, alors inspirons-nous de cette sagesse si nous voulons que l’humanité ait une place sur cette Terre dans l’avenir.

Sources : musée de la minéralogie- École des mines à Paris

Portfolio

  • Le quartz est utilisé pour rigidifier les écrans. C'est la base de tous (…)

[1source : Wikipedia

[2Le luminophore est une substance qui, lorsqu’elle subit une excitation, émet de la lumière. Une telle substance est utilisée notamment dans les tubes cathodiques des écrans, les écrans SED et également pour les écrans à plasma (source : Wikipedia).

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